Death metal vs black metal : deux esthétiques, deux univers sonores

9 juin 2025

Origines et contextes : des racines communes, des divergences radicales

Vers la fin des années 1980, la scène métal extrême enfante deux monstres sonores parallèles : le death metal émerge principalement aux États-Unis (Floride, notamment), porté par des groupes comme Death et Morbid Angel, pendant que le black metal, dans sa seconde vague, explose en Norvège avec Mayhem et Darkthrone. Ces deux genres partagent un goût pour la provocation, la vitesse et l’atmosphère oppressante, mais leurs choix acoustiques et stylistiques sont profondément différents.

  • Death metal : Naît du thrash et du hardcore, penche vers la brutalité rythmique et la complexité musicale.
  • Black metal : Hérite du heavy et du punk, cultive la froideur, le minimalisme et la dimension spirituelle ou philosophique.





La production sonore : clarté chirurgicale contre brume lofi

Death metal : pesanteur et précision

Le death metal cherche généralement un son massif et propre. La production met en avant la netteté des guitares et la puissance des basses fréquences. Les groupes pionniers comme Morbid Angel (Altars of Madness, 1989) ou Cannibal Corpse (The Bleeding, 1994) adoptent très vite des méthodes d’enregistrement où chaque instrument est distinct, chaque riff est projeté avec une violence chirurgicale. Le mixage valorise :

  • Des guitares très saturées mais précises, souvent accordées en C ou inférieur, pour plus de lourdeur (Guitar World).
  • Une basse épaisse, parfois technique (écoutez Alex Webster de Cannibal Corpse).
  • Des batteries percutantes et nettes, avec double grosse caisse soulignée.

Le tout est traité en post-production pour garder lisibilité et violence. Certains albums comme Individual Thought Patterns de Death (1993) sont cités pour leur niveau de précision inédit à l’époque (Loudwire).

Black metal : froid, abrasif, volontairement sale

Le black metal, surtout dans sa version scandinave années 90, refuse la propreté à la death metal. Les productions sont volontaires : les premiers albums de Mayhem (De Mysteriis Dom Sathanas, 1994), Burzum ou Darkthrone (Transilvanian Hunger, 1994) présentent un son râpeux, saturé d’aigus, brouillardé voire bancal. Ce choix technique vise à créer :

  • Un halo sonore froid et distant, privilégiant l’ambiance sur la lisibilité (cf. le son "grim" ou "necro").
  • Des guitares rayées, très distordues mais moins lourdes que le death : moins de basses, plus d’aigus.
  • Un mix qui noie la batterie et la basse, et place la voix en retrait ou en écho.

Le black metal considère la production lo-fi comme une arme artistique, un rempart contre le commercial et une manière de provoquer un malaise singulier (Kerrang!).






Techniques de jeu et rythmiques : un langage à part entière

Death metal : variation, technicité et intensité

Si la brutalité est un point commun, le death metal se distingue par une approche technique et polyrythmique. Le jeu de guitare est souvent basé sur :

  • L’alternance de riff palm-muted ("palm mute"), blasts rythmiques et solos rapides.
  • Des structures complexes : changements de tempo, mesures impaires, variations fréquentes.
  • Une batterie dense, adeptes du blast beat, mais aussi du double pédale syncopée.

Des groupes comme Nile ou Cryptopsy pousseront à l’extrême cette complexité jusqu’à flirter avec le death technique.

Black metal : répétition, hypnose et minimalisme

En opposition, le black metal cherche l’hypnose et la transe. Les éléments clés sont :

  • Riffs répétitifs, en accords ouverts ("tremolo picking"), créant un tapis sonore continu.
  • Structuration cyclique : moins de breaks, longues plages répétitives pour instaurer une atmosphère presque rituelle.
  • Batterie plus simple, souvent centrée sur des blasts linéaires et rapides, moins variés techniquement, à l’image de Fenriz (Darkthrone).

Ce minimalisme esthétiquement voulu vise à évoquer la solitude, la nature ou l’occulte. Les morceaux black metal sont parfois perçus comme "monolithiques", mais cette répétition favorise un état de transe sonore.






Voix et atmosphères : le cri guttural face au hurlement spectral

Impossible de parler du death et du black metal sans évoquer leurs voix. La façon dont la voix s’intègre ou s’impose dans le mix façonne toute l’ambiance.

  • Death metal :
    • Growls graves, parfois inhumains.
    • Mise en avant dans le mix, articulation variable selon les écoles.
    • Effet "caverneux" (Chris Barnes sur les premiers Cannibal Corpse).
  • Black metal :
    • Crissements, hurlements stridents, chant clair incantatoire sur certains albums.
    • Traitement en second plan (plus fondu dans l'ensemble instrumental).
    • Effet distant, éthéré, souvent saturé dans les aigus (exemple : Varg Vikernes sur les albums emblématiques de Burzum).

Ce parti pris sonore façonne une expérience émotionnelle radicalement différente : là où le death metal évoque l’impact physique, la violence organique, le black metal préfère la dissolution, la froideur, l’appel à l’introspection.






Identités culturelles et esthétiques : la musique comme arme

Death metal : fascination morbide et vision grandiloquente

Les thèmes du death metal puisent dans l’horreur, la mort, la science-fiction noire. Le son respecte cet imaginaire par sa densité, son agressivité et ses structures "cathédrales". Les albums vendus par la maison Earache dans les années 90 dépassent parfois les 100 000 unités sur des scènes jusqu’alors confidentielles (Earache Records). Le death metal attire un public avide de technicité et de catharsis sonore, certains albums devenant cultes pour leur côté « épique » ou leur violence frontale.

Black metal : anti-monde et quête de l’absolu

Le black metal, dans son refus de la norme, privilégie le chaos, le nihilisme, l’ésotérisme ou la nature déchaînée. Son esthétique sonore, rugueuse, minimaliste et glaciale, est un manifeste de rébellion contre l’industrie, le religieux ou la société moderne. Certains albums norvégiens limitent volontairement leur distribution à quelques milliers d’exemplaires, pour rester "underground" et protéger leur intégrité (cf. Peaceville Records ou Cold Meat Industry). Le black metal façonne une communauté fermée, presque sectaire, dont le son reste le premier rite d’initiation.






L’héritage et l’évolution : lignes de front toujours actives

Aujourd'hui, si les deux genres se croisent parfois (scène "blackened death" : Behemoth, Belphegor), l’opposition originelle perdure. Le death metal moderne entretient une recherche de puissance, d’innovation technique et de qualité studio (Obscura, Archspire), tandis que le black metal multiplie les expérimentations atmosphériques et "post-black" (Alcest, Mgła), sans toujours renier le minimalisme lo-fi.

  • Quelques chiffres marquants :
    • L’album De Mysteriis Dom Sathanas de Mayhem se classe dans le top 10 des ventes de black metal, avec plus de 30 000 exemplaires vendus en Norvège (source : NRK).
    • The Bleeding de Cannibal Corpse dépasse les 500 000 copies à l’international (RIAA), preuve d’une accessibilité supérieure liée à sa production.

Dans un paysage extrême, le son death et le son black restent deux pôles magnétiques. L’un frappe, l’autre glace. Tous deux prouvent que le métal, loin d’être monolithique, se nourrit de contradictions créatives et s’invente sans cesse de nouveaux langages.






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